La traversée dura un peu plus de trois heures. Ils débarquèrent sur un petit ponton de bois à côté duquel se trouvait une cabane de bois. Derrière elle, un chemin serpentait dans la plaine verdoyante vers l’unique ville de l’île. Le groupe de passagers se dirigea naturellement vers Tuan, discutant parfois de banalités, prenant des nouvelles de la famille et des amis des uns et des autres comme s’ils se connaissaient tous, et à vrai dire, il semblerait que ce soit le cas puisque hormis Shani, Arte et Kashyl, tous les passagers étaient des xiannois.
En une petite demi-heure de marche, le groupe atteignit la ville en elle-même et se sépara progressivement. Laissé seul, le trio prit le temps de regarder autour d’eux. Les bâtiments ressemblaient à ceux des quartiers moyens de la capitale : murs blancs, boiseries rouges sculptées et toits de tuiles en courbe. Le sol passa d’un chemin de terre à des pavés en pierres rondes gris dès l’entrée de la ville. Les ruelles étaient
surmontées par des cordes auxquelles des lampions étaient accrochés.
« Et bien, c’est décoré ici ! On dirait que quelque chose se prépare.
— Une fête peut-être ?
— Alors ça voudrait dire qu’on arrive au bon moment ! » s’enthousiasma Shani, joignant ses mains. « Allons nous renseigner !
— Bonne idée, allons-y. »
Shani attrapa le poignet de sa sœur et cavala dans les rues, le nez en l’air à observer les décorations. Kashyl haussa les épaules et suivit les filles, ne voulant pas s’éloigner d’elles. Dans les rues, les habitants s’affairaient sur différentes tâches, semblant à la fois occupés et impatients. Ils débouchèrent sur une place carrée avec au centre une estrade entourée de lampions et bougies. Toute la place était entourée de guirlandes de lumières et c’était là que la majorité des habitants se trouvaient et s’agitaient pour les préparatifs. Shani lâcha sa sœur pour aller voir ce qui semblait être un boulanger.
« Bonjour monsieur, excusez-moi de vous déranger…
— Bonjour mademoiselle, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
— Et bien… dites-moi, qu’est-ce que vous êtes en train de préparer ? Une fête ?
— En effet, il s’agit de la fête du Soleil. Elle aura lieu dans quatre jours, je pensais que vous étiez là pour ça.
— Oh et bien… Nous ne savions pas, mais… si on peut rester et participer…
— Vous êtes les bienvenus, vous amis et vous. Tous le monde peut prendre part à la fête du Soleil ! Vous n’êtes pas les seuls étrangers à venir pour elle.
— Oh vraiment ? » fit Shani, surprise. « Wouah… Ok, et bien… merci monsieur ! Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.
— Vous ne me dérangez pas. Profitez bien des préparatifs et de la fête.
— Oui, merci ! »
Shani salua l’homme et retourna avec son petit groupe pour leur expliquer.
« Et bien les amis, nous arrivons juste à temps pour la fête du Soleil !
— Oh, une fête locale ? Super, ça va nous changer les idées.
— Ils font la fête alors qu’un de leur prince a été tué ? Bizarre…
— Ils ne sont pas au courant peut-être ?
— Ça m’étonnerait, tout le port était au courant quand on est arrivés pour prendre le bateau et c’est qu’à trois heures de traversée donc…
— C’est vrai, t’es pas si con que ça Kashyl en fait !
— Haha, très drôle Shani… »
Shani fit un immense sourire, faisant rire sa sœur. Kashyl, excédé, proposa de visiter les lieux et trouver une auberge pour la durée de leur séjour. Il ne leur fut pas difficile de trouver quelqu’un qui leur désigna l’unique auberge de l’île tout en leur souhaitant d’y trouver de la place, chose difficile en cette période.
Le trio se rendit à l’auberge et Kashyl alla parler au tenancier. Très rapidement, on lui fit comprendre qu’il ne leur restait qu’une chambre pour deux, mais qu’ils pourraient arranger un troisième lit dedans. N’ayant pas l’intention de dormir dehors, il accepta et versa un acompte. Peu après, on vint les chercher pour les mener à leur chambre.
« Bon, les filles… Comment on décide de qui prend quel… lit. Ok je vois. »
Le seul homme du groupe soupira, voyant les filles déjà s’installer sur les lits permanents.
« Je suppose que je n’ai pas le choix.
— Merci de te porter volontaire Kashyl !
— J’ai plutôt le sentiment de ne pas avoir mon mot à dire. Ça se paiera. »
Shani et Arte esquissèrent un sourire puis installèrent leurs affaires. Après un moment à discuter, ils décidèrent de quitter l’auberge afin de visiter Tuan. Toute la ville respirait l’effervescence des préparatifs de la fête, même les enfants aidaient, bien que jouant joyeusement. La ville étant très petite, il ne leur fallut pas longtemps pour en faire le tour, si bien qu’ils retournèrent à l’auberge pour prendre le déjeuner. Ils y trouvèrent beaucoup d’étrangers, à croire que tous ceux présents en ville étaient rassemblés ici. Ils se trouvèrent une place et s’installèrent. Très vite, une serveuse vint prendre leur commande puis partit en cuisine. Shani en profita pour regarder autour. Elle ne trouva pas d’autres dralisiens qu’eux et se demanda d’où venaient les autres voyageurs. A deux tables d’eux, une femme tenant un bébé leur tournait le dos, mais le bambin, lui pouvait les voir, si bien qu’il fit un petit signe de main. Shani se demanda si cela était volontaire ou non, mais y répondit en ajoutant un sourire attendri. À côté de cette mère se tenait un homme à la carrure forte et barbu qui semblait être le père vu la manière dont il se préoccupait de l’enfant et souriait. Leurs vêtements avaient l’air très chauds, si bien que Shani estima qu’ils devaient être de Meln, Nahn ou Skord, les pays les plus froids du continent. Plus loin, il y avait un groupe très bruyant semblant venir d’un pays chaud, probablement Haert. Çà et là, il y avait des petits groupes ou des personnes seules d’autres pays.
« Et bien, certains semblent venir de loin.
— C’est vrai… j’aime bien leurs vêtements, ça change de ce qu’on a chez nous.
— J’avoue.
— Ah les filles et les fringues…
— Tu dis ça alors que tu es plus coquet que nous !
— N’importe quoi. »
Les deux sœurs roulèrent des yeux en souriant puis on leur apporta leur repas. Ils remercièrent la serveuse puis se mirent à manger avec appétit. Après un petit verre, ils décidèrent de sortir et donner un coup de main pour les préparatifs afin de ne pas rester inactifs. Puisqu’ils étaient des mages, on leur demanda d’enchanter quelques lampions pour alléger le travail de leurs propres mages.
Tandis qu’ils étaient installés en cercle à faire leurs enchantements, la famille vue par Shani passa près d’eux. Se déconcentrant, cette dernière les suivit du regard, regardant de nouveau l’enfant qu’elle trouvait adorable. Elle remarqua sur leur passage qu’ils avaient perdu un bijou. Elle se leva et le ramassa.
« Attendez ! » s’écria Shani, allant vers eux. « Vous avez perdu quelque chose, madame, monsieur ! »
Entendant du bruit, l’homme immense se retourna pour voir Shani.
« C’est à nous que vous parlez ?
— Oui, c’est à vous, non ? »
La femme se tourna également et regarda ce que tenait Shani. Elle porta ensuite ses yeux à son propre poignet.
« Oh… oui, c’est mon bracelet, merci beaucoup mademoiselle. »
La femme aux longs cheveux tressés sourit tandis que l’homme prit le bracelet des mains de Shani pour le remettre au poignet de sa femme.
« Oui, merci beaucoup. Tenez, pour vous remercier.
— Non non, gardez votre argent enfin ! Dites-moi simplement… d’où venez-vous ?
— Nous sommes de Skord, et vous ?
— De Dralis. Vous avez fait un sacré voyage jusqu’ici.
— Il paraît que cette fête en vaut la peine alors… C’est un plaisir de voyager.
— Ce n’est pas moi qui vais vous dire le contraire, avec ma sœur et un… ami, nous nous sommes lancés dans un tour du monde.
— Quelle merveilleuse idée ! Quand vous viendrez à Skord, venez donc nous voir, nous vivons à Manjiarn.
— Oh, c’est sympa, merci. Nous passerons vous dire bonjour alors. Nous pourrions dîner ensemble ce soir, pour faire connaissance, si ça vous dit ?
— Et bien ma foi… avec plaisir. »
La femme sourit.
« Je m’appelle Mourn, et voici mon mari Tarrhen.
— Et notre petite fille, Saen.
— Enchantée ! Moi c’est Shani, et là-bas il y a ma sœur Arte et notre garde du corps Kashyl.
— Un garde du corps ?
— C’est censé… Disons que nos parents nous l’ont imposé, ils ne voulaient pas que nous voyagions seuls.
— Ils ont raison, le monde peut être dangereux pour deux femmes seules. » dit Tarrhen, solennel.
Mourn approuva. Ils discutèrent un peu plus longtemps puis se séparèrent, se donnant rendez-vous au dîner. Shani retourna avec ses camarades et se remit au travail.
Le soir venu, la famille et les dralisiens se rassemblèrent pour le dîner. Ils firent plus ample connaissance, discutant de leur pays respectif. Skord était un pays où le froid et la neige étaient constants et dont le peuple connaissait l’art de la guerre. Mourn et Tarrhen habitaient une ville de taille moyenne pas très éloignée de la capitale. Ils en marquèrent l’emplacement sur la carte détenue par Arte et profitèrent du repas. La petite Saen s’endormant, le couple quitta le groupe pour aller dans leur chambre. Kashyl ne tarda pas à aller dormir lui aussi, laissant les deux sœurs qui avaient décidé de faire la fête avec les autres voyageurs. En dansant, elles firent la connaissance d’une sedattienne du nom de Sayuki venue elle aussi rien que pour la fête. Le courant passant bien avec cette fille énergique, elles dansèrent toutes les trois jusque tard dans la nuit avant d’être assaillies par la fatigue qui les obligea à aller dormir. Shani et Arte tâchèrent de ne pas faire de bruit en entrant dans la chambre, mais, encore euphoriques de la soirée, elles ne purent retenir leurs rires malgré tous leurs efforts. Kashyl grogna et se retourna dans son lit, enfouissant sa tête sous l’oreiller. Cela fit d’autant plus rire les deux sœurs qui s’empressèrent néanmoins de se mettre au lit.
Le sommeil vint rapidement les cueillir pour leur offrir un repos bien venu.