Shani et Arte avaient repris leur route après s’être remises de leurs émotions. Pourtant, tout au long du chemin, elles ne purent s’empêcher d’avoir peur d’être de nouveau attaquées. Elles évitèrent le plus possible les villes, privilégiant les petits villages qui leur semblaient plus sympathiques au vu de leur expérience. Elles ne s’y rendirent cependant qu’en dernier recours, préférant chasse, pêche et cueillette pour se nourrir.
De temps à autre, elles croisaient des marchands et échangeaient prudemment avec eux. Bien souvent, ils étaient agréables et acceptaient volontiers de leur vendre de la marchandise ou de se rendre service mutuellement. Mais parfois… elles essuyaient de violentes insultes qui les faisaient fuir plus vite chaque fois.
Quelque chose s’était brisé en elles. La confiance et la naïveté qu’arboraient fièrement Shani s’étaient peu à peu muées en méfiance. Arte, déjà méfiante dès son arrivée, ne l’était que plus encore
à présent. Mais dans toute cette aventure teintée d’amertume, les deux sœurs s’en retrouvèrent plus soudées encore.
Guidées par le sérieux d’Arte qui avait préparé leur trajet avec minutie, elles passèrent trois semaines à traverser les plaines de Xian-Tia avant d’atteindre l’orée de la forêt qui les séparait de Hua-xi. Une route passait au travers de celle-ci, mais par manque de confiance, les deux sœurs décidèrent de la longer pour, d’un côté ne pas se perdre, et de l‘autre ne pas croiser des personnes hostiles à leur encontre.
Par chance pour elles, la forêt regorgeait de gibier et d’arbres fruitiers portant encore quelques fruits. Leur plus gros problème était de trouver de l’eau, et pour cela, elles devaient s’éloigner de la route en s’assurant de pouvoir la retrouver ensuite. Pour se faire, elles laissaient des marques magiques avec leur pierre de magie puis les effaçaient sur le chemin du retour.
Il leur fallut plus d’une semaine pour rejoindre la capitale. Celle-ci, immense, était en partie entourée d’arbres sans pour autant s’immiscer dans la forêt. En plein après-midi, un fort bruit de vie se faisait entendre, résonnant entre les arbres.
« Nous y voilà…
— Oui. Croisons les doigts pour que tout se passe bien. » murmura Arte. « Pourvu que personne ne s’en prenne à nous…
— Ou que les autres interviennent en notre faveur !
— J’aimerais autant que personne ne nous insulte ou frappe.
— Oui, moi aussi bien sûr… Bon, aller ! Il n’y a qu’une seule façon de savoir, c’est d’y aller ! »
Arte déglutit et attrapa la main de sa sœur. Elle gardait des traces profondément ancrées dans son cœur de leurs mésaventures. L’angoisse que cela recommence l’étreignait dès qu’elles approchaient de xiannois, et aux abords de la capitale, elle n’en était que plus forte. Shani la regarda et serra la main d’Arte, lui souriant pour la rassurer.
« Aller, tout va bien se passer ! En route ! »
Shani, essayant de reprendre son air confiant, avança dans les rues de la ville. Comme à Fua-Hui, la périphérie de la ville était moins riche que son centre, cependant, on ressentait une certaine richesse globale dans toutes les sphères de la capitale. Les maisons étaient toutes construites dans des matériaux solides et du bois. Plus elles s’enfonçaient dans la ville et plus les maisons étaient grandes et luxueuses. Les axes principaux étaient décorés de fanions bougeant au rythme du vent, le sol de terre était recouvert de pierres blanches qui éblouissaient au moindre rayon de soleil… Fort heureusement, le ciel était couvert ce jour-là ce qui préservait les deux sœurs et les habitants de devenir aveugles.
« Ça change des autres villes.
— Oui, on voit que c’est la capitale, même les rues sont décorées.
— C’est vrai… Bon, cherchons la place centrale et trouvons une auberge dans laquelle dormir. J’aime bien la tente, mais bon… une auberge c’est quand même mieux !
— Tu as raison. Allons-y. »
Shani hocha la tête et avança sans lâcher sa sœur. Certains se retournaient sur leur passage, mais pour la plupart, ils ne leur prêtaient aucune attention. Cela les rassura suffisamment pour que l’angoisse s’envole peu à peu.
Enfin elles parvinrent à atteindre le centre ville après avoir tourné longuement en rond et demandé leur chemin à une dizaine de personnes. A vrai dire, si personne ne les avait amenées là-bas, il est certain que les deux sœurs seraient encore en train de chercher en ce moment même puisqu’Arte avait laissé faire Shani, ce qui était une grave erreur vu ses antécédents en la matière.
La place principale était bondée de monde et le brouhaha constant formait un bruit sourd faisant mal aux oreilles. Shani, bien heureuse que personne ne s’en soit pris à elle, sourit à s’en faire mal aux joues. Arte se détendit peu à peu et reprit en main la recherche d’un logement afin qu’elles ne passent pas la nuit dehors. Deux heures de recherches plus tard, elles purent poser leurs bagages dans une chambre bon marché où un délicieux repas les attendrait à la tombée de la nuit. Il ne restait que peu de temps avant cela, mais elles en profitèrent pour faire du repérage sur la place et prévoir ce qu’elles feraient dans les prochains jours.
L’objectif principal de Shani étant d’en découvrir plus sur le monde, elle demanda à tous ceux qu’elle put s’il y avait une bibliothèque ouverte au public et finit par obtenir cette information ainsi qu’un plan avec une indication. Satisfaite, elle retourna à l’auberge après s’être perdue à plusieurs reprises. Fort heureusement, Arte alla à sa rencontre et la ramena avec elle.
Dans l’auberge, une bande de musiciens jouait des airs entraînant tandis que les habitués et voyageurs de passage se délectaient d’alcool et nourriture. Les deux sœurs n’en profitèrent que peu, préférant aller dormir après le repas.
En pleine nuit, Shani s’éveilla pour regarder les étoiles, pensant déjà à tout ce qu’elle allait apprendre le lendemain. Alors qu’elle observait rêveuse, quelque chose attira son regard dans le ciel. Une ombre passant au loin, volant à travers les nuages. Elle colla son visage à la fenêtre pour essayer de mieux voir de quoi il s’agissait, mais impossible de mettre un nom sur cette chose. Cela ressemblait à un animal qu’elle n’aurait jamais vu.
« Oh ! Vite, mon carnet ! »
Shani farfouilla dans sa sacoche et en sortit carnet, plume et encrier pour tenter de dessiner ce qu’elle avait vu, mais lorsqu’elle se remit à la fenêtre, il n’y avait déjà plus rien. Alors elle dessina d’après ses souvenirs. Alors qu’elle avait terminé et observait ses traits, elle reçut un coup derrière le crâne.
« Aïe !
— Ça va pas de crier comme ça en pleine nuit ?! » s’emporta Arte. « Tu as vu l’heure ?!
— Mais il y avait quelque chose dans le ciel !
— Hein ?
— Regarde ! »
Shani mit le nez de sa sœur dans le carnet. Arte fut obligée de le repousser pour y voir quelque chose.
« On dirait un serpent volant…
— Ah mais oui, les serpents ! Mais… avec des ailes et bien plus gros !
— Ouais… Bon, retourne te coucher, il est tard… » bailla Arte en retournant dans son lit.
Shani fit la moue et rangea son matériel. Elle s’assit dans son lit et observa le ciel avec l’espoir d’y revoir passer ce serpent volant. Mais non, rien ne vint. Alors elle essaya de trouver le sommeil, ne pouvant s’empêcher de penser à cette créature. Demain, en allant à la bibliothèque elle en profiterait pour chercher des informations sur cette créature. Une nouvelle obsession venait de naître en elle.