Shani et Arte continuaient leur périple. Parties depuis deux semaines du village où elles s’étaient retrouvées, elles se dirigeaient vers Fua-Hui, la première ville indiquée sur la carte. D’après Arte, elles ne devraient pas tarder à l’atteindre, et les quelques marchants qu’elles avaient croisé les avaient rassurées sur leur direction. Elles avaient d’ailleurs profité de les croiser pour se faire un peu d’argent en rendant service ou vendant leurs créations magiques. Elles avaient désormais de quoi tenir un certain temps, même si Arte espérait secrètement pouvoir récolter un peu plus d’argent à Fua-Hui pour leur propre bien, craignant que cela ne soit pas assez contrairement à l’optimiste Shani.
Quelques heures après avoir levé le camp, les deux sœurs atteignirent la ville. Fua-Hui semblait bien plus riche que le village qu’elles avaient croisé. Les maisons étaient faites de briques recouvertes d’un enduis ocre, les toits courbés en tuiles rouges et les portes et fenêtres étaient
fermées par des décorations de bois teinté. Enfin, cela concernait plutôt les maisons du centre ville, car celles en périphéries étaient plutôt comparables à celles du village.
« Bon… je suppose que nous sommes arrivées au bon endroit.
— Enfin ! » s’écria Shani. « Je t’adore Arte, mais je suis là pour rencontrer du monde et échanger des connaissances, pas seulement pour papoter avec toi… Même si j’aime ça, hein !
— Rattrape-toi… Mais c’est vrai que de voir d’autres humains ça fait du bien.
— Aller, on y va ! »
Shani attrapa le poignet de sa sœur et la tira à travers les rues de la ville avec un immense sourire. Si Arte se laissait entraîner, elle ne manquait cependant pas de remarquer les regards qui se posaient sur elles. Bien loin de la chaleur que les villageois leur avaient offerte, les habitants de Fua-Hui semblaient plus réservés, moins accueillant. Cela donna un mauvais pressentiment à Arte, mais elle le garda pour elle.
Les deux sœurs débouchèrent sur la place principale, foisonnante de monde et de marchandises. Elles entendaient les gens parler depuis déjà longtemps, mais lorsqu’elles firent irruption, un silence se propagea peu à peu. Les habitants les regardaient froidement, certains même avec haine. Cela fit s’arrêter net Shani qui se demandait si c’était bien elles qu’ils regardaient. Comme pour vérifier, elle tourna la tête pour regarder en arrière. Personne. Alors elle regarda de nouveau les habitants. Bon… elles avaient peut-être cassé un peu l’ambiance, mais ce n’était pas une raison !
« Bonjour ! » lança joyeusement Shani. « Je m’appelle Shani et voici ma sœur, Arte. Nous venons toutes les deux de Dralis et nous…
— Dégagez d’ici.
— Pardon ?
— Tu es sourde en plus ? Je t’ai dit de dégager d’ici. T’es pas la bienvenue môreng.
— Môreng ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Ça désigne les gens comme toi, qui viennent pas d’ici. Maintenant, tu prends ta sœur et tu dégages !
— Mais on voulait juste trouver un endroit où dormir et acheter des prov–
— On vous vendra rien ! Partez !
— Ouais, tirez-vous d’ici !
— Dehors môreng ! »
La foule commença à se montrer menaçante. Arte, pas rassurée, se cramponna à sa sœur qui essayait de trouver une échappatoire. Lorsqu’on leva le poing pour la frapper, Shani se faufila avec Arte pour partir, bousculant ceux sur son chemin qui ne manquèrent pas de les insulter et leur cracher dessus. Certains réussirent à les frapper, plus ou moins violemment, sur leur passage. Après une lutte de plusieurs longues minutes, les deux sœurs purent s’échapper de la ville. Elles s’éloignèrent suffisamment pour ne plus entendre les cris et s’assirent.
« Et bien… ils sont pas commodes.
— C’est tout ce que tu trouves à dire Shani ? Ils auraient pu nous tuer !
— Je ne pense pas qu’ils seraient allés jusque-là… Ils voulaient juste nous faire peur.
— Shani… tu es dans le déni ! Bien sûr qu’ils auraient pu le faire ! Et personne ne l’aurait jamais su.
— Hey, Arte… ne pense pas à ça, d’accord ? On va bien, on a juste pris quelques coups… »
Arte fit la moue et regarda sa sœur. Shani souriait malgré la situation. Elle souriait toujours, à n’importe quel moment… Arte se demandait bien comment elle faisait. Et puis, un détail attira son attention.
« Mais… Shani, tu saignes ! » s’écria-t-elle, faisant sursauter sa sœur. « Il te faut des soins !
— Ça va Arte…
— Non, ça ne va pas ! Montons la tente et restons dormir ici pour la nuit, je vais m’occuper de tes blessures.
— D’accord, d’accord. »
Shani céda à sa sœur et ensemble, elles installèrent le campement. Une fois fait, elles s’installèrent dans la tente et Arte força Shani à se tenir tranquille afin de la soigner. Elle avait pris de sales coups en la protégeant et Arte ne le réalisait que maintenant.
« Ils t’ont fait tellement de mal…
— Oh, c’est rien, je suis solide Arte !
— Mais je suis l’aînée, c’est moi qui devrait te protéger !
— Arte… calme-toi… »
Shani prit les mains d’Arte en douceur et parla d’une voix apaisante.
« Que tu sois l’aînée ou non, ça ne change rien… Tu n’es pas obligée de me protéger sous ce prétexte. En plus, c’est moi qui t’ai entraînée dans cette galère alors je dois en assumer les conséquences, surtout celles qui impliquent de prendre des coups.
— Mais…
— Pas de, mais ! Aller, fais-moi un sourire plutôt que cette tête toute triste ! »
Arte s’efforça de sourire et remercia sa sœur avant de finir de la soigner. Puis elles échangèrent les rôles, l’aînée ayant malgré tout pris quelques coups. Après cela, elles décidèrent de se reposer et de changer légèrement leur itinéraire pour limiter ce genre de rencontres. Elles espéraient que l’accueil ne serait pas le même dans les prochaines villes et villages qu’elles visiteraient sinon leur voyage pourrait très vite tourner court…
Après un bon repas, elles se couchèrent pour se reposer avant de reprendre la route le lendemain. Cependant… la nuit fut courte puisque la tente fut secouée violemment. Réveillées en sursaut, les deux sœurs furent désorientées et surprises de cette tempête soudaine… Une seconde… Il y avait des voix, ce n’était pas le vent !
« Oh non, tu crois que ce sont les villageois ?
— J’en ai l’impression Arte… »
Shani attrapa à la hâte sa sacoche et farfouilla dedans tandis que les insultes se faisaient peu à peu entendre.
« L-laissez-nous ! » cria Arte. « On ne vous a rien fait !
— Partez d’ici !
— Hey les gars, j’ai réussi à ouvrir la tente ! » s’écria un des hommes alors qu’il tirait un des pans qui servaient de porte. »
La tente était magique, il était difficile pour ceux ne connaissant pas le fonctionnement de trouver le moyen d’y entrer. Mais à présent que c’était fait, plusieurs s’engouffrèrent à l’intérieur arme au poing. L’un des hommes attrapa Arte par le bras et la tira jusqu’à lui pour la frapper au visage. Shani vit rouge et brandit sa pierre de magie. Cette pierre ovale avec un bout pointu était l’outil de chaque mage ; celle de Shani était d’une belle couleur turquoise transparent et le symbole en son centre ressemblait à une goutte d’eau stylisée avec des décorations au-dessus et en-dessous. Shani traça dans le vide les symboles qui lui permirent de repousser les hommes avec une violente rafale de vent.
« Ne touchez pas à ma sœur ! » leur cracha-t-elle au visage. « Foutez-nous la paix ! »
Traçant de nouveaux symboles, elle s’entoura d’un anneau de feu qui fit reculer les hommes.
« Partez !
— C’est une mage !
— Maudite môreng…
— Aller, partez ! »
Pour se montrer un peu plus, elle amplifia le cercle qui vint lécher les vêtements de leurs assaillants jusqu’à les brûler un peu.
« Ah ! Eteins-moi ça !
— Alors partez !
— Ne reviens plus ici môreng ! Sinon on te fera la peau !
— Cassez-vous ! »
Face à la violence soudaine des flammes, les hommes décidèrent de fuir, maudissant et insultant les deux sœurs. Shani cessa son sort et alla vers Arte.
« Est-ce que ça va ? Oh non, ton nez !
— C-ça va, c’est juste…
— Ça pisse le sang ! On soigne ça et on s’en va, ils risquent de revenir.
— Oui… »
Shani prit bien soin d’Arte et leva le camp avec son aide. Elles se hâtèrent de s’éloigner de la ville. Elles marchèrent des jours et des jours avec la crainte de croiser de nouvelles personnes qui les agresseraient à leur seule vue. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas et elles purent s’installer auprès d’un lac, ce qui aida Arte à les situer sur la carte. Leurs vivres s’amenuisaient, mais les eaux regorgeaient de poisson, c’était l’occasion pour elles d’en refaire. Elles restèrent là plus d’une semaine à reprendre des forces et se remettre de leurs émotions, à calmer leurs craintes dans cet endroit plein de quiétude. Elles se baignèrent même malgré la température fraîche ! Ce moment de détente leur fit le plus grand bien à toutes les deux. Observant la carte, elles décidèrent de prendre la direction de la capitale en évitant les grandes villes par précaution. Encore quelques jours et elles se remettraient en marche.